Planches du 40c Semeuse vermillon
- Nicolino Frédéric
- 4 mai 2023
- 5 min de lecture
Je voulais vous faire part aujourd’hui d’un point de détail qui me turlupine concernant les planches d’impression des carnets en typographie à plat. Cela concerne ceux du 40 c. vermillon YT n°194 car c’est la seule Semeuse dont on dispose d’assez nombreuses feuilles entières vendues à l’époque pour écouler les stocks, et de carnets assez courants pour être étudiés en nombre.
Comme vous le savez, je m’intéresse beaucoup aux méthodes de fabrication et aux dates d’impression, et ce sujet s’y rapporte précisément.
En 1926, on imprimait ces carnets à l’atelier du boulevard Brune sous la forme de grandes feuilles de 240 timbres destinées à être coupées en deux feuilles de 120 :

Une feuille avec sa grande marge à gauche, et une avec la sienne à droite.
Ces dernières étaient ensuite agrafées aux feuilles de 6 couvertures du même format, puis l’ensemble était découpé pour donner 6 carnets de 20 timbres.
On pourrait penser qu’une seule planche a été utilisée, et qu’elle a servi pour le tirage des 4 carnets que nous connaissons. Il suffisait d’en changer les pubs, dont le matériel d’impression était amovible et interchangeable sur la planche. Mais rien n’est moins sûr…
L’administration a en tout cas stocké un certain nombre de ces différentes feuilles déjà imprimées mais pas encore utilisées, et ce vraisemblablement en raison de l’augmentation annoncée à 50 c. du tarif de la lettre, prévue pour entrer en vigueur le 9 août.
Le principal intérêt de ces jolies feuilles parvenues jusqu’à nous est de comporter leur date d’impression dans la marge inférieure, renseignement que l’on ne retrouve que sur quelques carnets seulement : ceux qui étaient situés en bas de feuille, et dont la découpe est fort heureusement décalée vers le bas.
C’est ainsi que l’on a pu apprendre que 2 carnets différents ont parfois été imprimés le même jour !
Le tirage a duré du 4 mai au 17 juillet.
Mais voici où je veux en venir :
J’ai superposé sur cette première image le bas de 3 feuilles distinctes imprimées le même jour (16 juillet) à la fin du tirage, sur la même presse 30, et par le même opérateur V.

- Les 2 du haut sont parfaitement identiques : même pub, même grande marge à droite, même perforation de contrôle, mêmes trait et croix de repère, même position des inscriptions marginales, et même bavure sur le chiffre 3 qui semble un peu refermé.
- En revanche, vous constaterez avec moi sur celle du bas, que les inscriptions ne sont pas à la même place par rapport aux timbres (voir les traits noirs d’alignement), qu’il existe un = ajouté sur la droite, que le chiffre 3 est parfaitement imprimé. Et surtout que les pubs sont différentes !
Par ailleurs, cette seconde image vous montre le bas de 2 carnets GIBBS imprimés le 15 mai, au début du tirage, toujours sur la même presse 30, et par le même opérateur V.

- Les 2 sont issus de feuilles de droite, mais celui-du bas porte une marque =, et pas l’autre.
- Les inscriptions sont à la même place sur les deux, mais les chiffres 3 sont différents.
S’il n’y avait eu qu’une seule planche, ces images signifieraient que l’opérateur V aurait ces jours-là modifié les caractères imprimant ces fameuses inscriptions et leur position. Difficile à croire ! Pourquoi l’aurait-il fait ?
L’autre possibilité serait l’existence de 2 planches bien distinctes que l’opérateur installait selon les besoins, sur sa presse. C’est cette hypothèse qui me semble la plus probable au vu de ces constatations :
- une planche identifiée avec cette marque =
- et une autre sans cette marque.
Qu’en pensez-vous ? Comment le prouver ?
Avec l’aide toujours précieuse de Lucien Coutan, je me suis amusé à réunir et à examiner tous les carnets bas de feuille et toutes les feuilles dont nous avions les images, avec leurs dates.
1ère constatation : l’ordre chronologique d’apparition des carnets est : GIBBS > LESIEUR > GREY > EVIAN. Avec dans un premier temps seulement GIBBS, puis LESIEUR et GREY, puis EVIAN et GREY.
2ème constatation : les 4 carnets ont été imprimés indifféremment sur la gauche ou la droite des feuilles de 240.
3ème constatation : la marque = existe SEULEMENT pour les carnets GIBBS et GREY POUPON / VITTEL / SECOURS.
On la trouve aussi sur des feuilles de gauche comme celle-ci (qui a été imprimée par un autre opérateur L) :

Cette marque n’est JAMAIS présente pour aucun des 2 autres carnets.
4ème constatation : les inscriptions dépourvues de ce = sont situées un petit peu plus bas, ce qui est surtout marqué pour les carnets EVIAN :

On ignore si les caractères d’imprimerie se situaient toujours au même emplacement sur la planche, mais si c’était le cas, cette image pourrait laisser croire à l’existence de 3 planches. Ce qui est certain, c’est qu’ils étaient manipulés chaque jour pour en changer la date, rendant possible des variations dans leur positionnement.
5ème constatation : nous avons découvert un minuscule défaut d’impression sur le 2ème timbre de la dernière rangée du bas, à droite de la chevelure :

Case 112
Ce petit point blanc à peine visible à l’œil nu se retrouve (une seule fois sur 240, il fallait le trouver) :
- sur TOUS les carnets issus d’une feuille de droite,
- et sur AUCUN de ceux issus d’une feuille de gauche !
SAUF pour les carnets GREY POUPON / VITTEL / SECOURS où on ne le retrouve JAMAIS, ni à droite ni à gauche !
ET pour ce carnet GIBBS de droite du 15 mai qui porte lui aussi la marque = (nous n’en avons pas vu de gauche).
- Ces derniers carnets ont donc deux particularités qui les différencient des autres (l’absence de ce point blanc et la marque =), ce qui prouve qu’ils ont été imprimés avec une planche qui leur est propre !
- La présence au même endroit de ce défaut d’impression pour tous les carnets LESIEUR et EVIAN ainsi que les carnets GIBBS dépourvus de cette marque, prouve indiscutablement que leurs tirages ont été réalisés à l’aide d’une seule autre planche.
Deux planches distinctes (et seulement deux) ont donc été utilisées pour l’impression de ces carnets à 40 c.
On sait par Courmont que 3 millions de carnets sortaient chaque mois dès 1923 (ce qui représente 250 000 feuilles), et que la durée de vie d’une planche typographique était de 250 000 utilisations.
Il est donc logique que l’on en ait prévu deux pour ces deux mois et demi de tirage :
- la première a été utilisée pour GIBBS à partir du 4 mai, puis LESIEUR dès le 5 juin, puis EVIAN dès le 2 juillet,
- la seconde a été utilisée pour GIBBS ce 15 mai, puis apparait le 5 juin pour GREY POUPON / VITTEL / SECOURS.
Les jours communs que nous connaissons ne font que confirmer :
- les 5, 14, 15, 16 et 17 juin ont été tirés en même temps des carnets LESIEUR et GREY POUPON,
- les 16 et 17 juillet des carnets EVIAN et GREY POUPON,
- nous n’avons jamais rencontré 2 carnets différents issus de la même planche ayant été imprimés le même jour.
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Des différences observées dans le positionnement des caractères pour la première planche, nous pouvons déduire que celui-ci était variable en hauteur. Un réglage dont nous ignorions la possibilité technique.
Tentons à présent de trouver une explication à cet abaissement que nous avons observé : c’est probablement pour faire de la place aux pubs EVIAN qui sont plus volumineuses que les précédentes, que les inscriptions ont dû être imprimées un peu plus bas par rapport à la dernière rangée de timbres.
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L’étude approfondie des carnets imprimés à plat situés en haut ou en bas de feuille, à droite ou à gauche (donc facilement identifiables) est une source importante de renseignements permettant d’identifier l’existence ou non de plusieurs planches différentes ayant servi pendant le tirage d’un même timbre.
Celle des inscriptions marginales et de leur position également.
Tout ceci peut vous sembler n’être qu’un petit pas (et un petit point), mais représente tout de même
une avancée dans la compréhension des techniques d’impression de l’époque.
Bibliographie
Documents philatéliques tome XX , N° 88 , 1981, pages 83-88
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